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par Salem CHAKER
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On présentera ici les traits essentiels de la négation en berbère et surtout, les principales interro-gations que suscitent les différentes facettes de ce phénomène syntaxique et sémantique. Les autres contributions consacrées au berbère dans ce volume tenteront, chacune pour une aire géo-linguistique particulière, d’apporter des éléments complémentaires – matériaux et analyses – qui donneront une vue à la fois plus précise et plus diversifiée de la négation en berbère.
A un niveau très général, on commencera par dire que la négation présente, à l’échelle globale du berbère, une homogénéité très forte quant à ces aspects centraux, mais aussi des éléments significa-tifs, nettement secondaires, de diversité dans ses aspects périphériques. La négation de l’énoncé ver-bal peut être formalisée sous le schéma suivant :
Nég1 + Verbe [thème éventuellement spécifique] + (Nég2)
kabyle : (1) y-krez = il-a/est labouré
ur y-kriz (ara) = nég1 il-a/est labouré (nég2)
Il y a donc partout un élément pré-verbal commun et obligatoire, dont la forme de base est wer, mais qui peut connaître, selon les parlers et les contextes phonétiques de nombreuses variantes : ur (de loin la plus fréquente), avec vocalisation de la semi-voyelle ; u, avec chute de la liquide, essentielle-ment devant forme verbale commençant par une consonne apicale ; ul, ud... à la suite d’assimilation devant latérale ou dentale. Beaucoup de ces réalisations, qui sont toutes au départ manifestement conditionnées par un contexte phonétique, peuvent localement acquérir une autonomie totale par rap-port à un environnement précis et accéder alors au statut de variantes régionales.
Le second élément de la négation (ara, dans l’exemple1) introduit immédiatement un élément de diversité important dans l’ensemble berbère :
a- D’une part, de nombreux dialectes importants, notamment le touareg, l’ignorent complète-ment, le morphème négatif pré-verbal suffit à nier un énoncé verbal :
touareg : (2) i-gla = il-est parti
ur i-glé : nég il-est parti = « il n’est pas parti »
b- D’autre part, dans les dialectes qui recourent à un second élément négatif, celui-ci n’est pas toujours présent dans tous les contextes. En règle générale, dans les environnements où s’exercent de fortes contraintes syntaxiques (relatives, phrases interrogatives, phrases de serments, succession de négations coordonnées...), le second morphème est soit facultatif, soit totalement exclu :
kabyle : (3) y-kšem = il-est entré
ur y-kšim ara : Nég1 il-est entré Nég2 = « il n’est pas entré »
mais :
(4) ggull-eà ur y-kšim ! : jure-je nég1 il-entre
= « je jure qu’il n’entrera pas ! »
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c- Enfin, dans le sous-ensemble des dialectes qui connaissent la marque de négation post-verbale, celle-ci présente des signifiants extrêmement divers :
- le kabyle de Grande Kabylie a ara, mais la Petite Kabylie connaît des formes bien plus va-riées : ani, k... (Cf. ici même la contribution de A. Rabhi ou Rabhi 1992 et 1994 ;
- les dialectes du Maroc central, le chaouï... ont des formes du type : kra, ka, ša ou š...
Ces trois constats préliminaires (a, b, c) établissent que le second élément de la négation n’est pas primitif en berbère : il s’agit à l’évidence d’un renforcement secondaire de la négation fondamen-tale wer, opéré de façon largement indépendante dans les différentes zones dialectales qui le prati-quent, même si l’on décèle dans ce processus des convergences certaines.
Troisième et dernière facette de la négation verbale berbère : le verbe lui-même. Comme on l’a mentionné dans la formalisation initiale de l’énoncé verbal négatif et dans les exemples proposés, le présence de la négation wer exerce des contraintes morpho-syntaxiques fortes sur le verbe nié ; avec, comme dans les énoncés ci-dessus, apparition d’une forme verbale spécifique (un thème verbal parti-culier du négatif, marqué en l’occurrence par un changement vocalique : y-krez/y-kriz, y-kšem/y-kšim, i-gla/i-glé), ou bien, dans d’autres conditions, des restrictions plus ou moins fortes du paradigme des thèmes verbaux, limitation des inventaires sur lesquelles on reviendra plus loin. Il apparaît que la né-gation n’est pas seulement une modalité additionnelle, extérieure au verbe, mais qu’elle influe direc-tement sur le verbe lui-même, notamment sur l’inventaire des thèmes.
De cette rapide présentation, il ressort que l’étude de la négation berbère peut être focalisée sur trois aspects principaux : le morphème pré-verbal wer et son origine, les morphèmes post-verbaux négatifs, la paradigmatique verbale en énoncé négatif.
Le morphème négatif wer/ur, war
Il ne fait pas de doute que la forme première du morphème négatif pré-verbal est bien wer ; comme on l’a évoqué plus haut, le caractère phonétiquement conditionné des autres variantes, quel que soit leur statut synchronique dans les dialectes concernés, suffit à l’établir. De plus, dans les dia-lectes, comme le kabyle et le touareg, où coexistent les allomorphes wer/ur/u(r), la variante wer appa-raît nettement comme une forme soignée, propre à tous les usages élaborés, notamment au registre poétique.
L’origine du morphème reste obscure, mais une hypothèse sérieuse a été formulée par André Basset (1940) et reprise par Karl Prasse (1972 : 244). La négation wer n’est pas, en effet, isolée et son étymologie ne peut être dissociée de la détermination nominale war, préfixe privatif (« sans, dépourvu de »), très largement attesté dans le domaine berbère et dont Basset a proposé une étude très fouillée dans ses « Quatre études » (1940 : 202-222). La parenté formelle et sémantique entre la négation ver-bale wer et le privatif nominal war est évidente. Et comme l’a bien vu Basset (1940 : 221), ce qui les distingue au plan signifiant – l’alternance vocalique (wer/war) – est un phénomène bien connu dans la morphologie berbère et suggère immédiatement une opposition thématique verbale (aoriste ~ prétérit, notamment). Par ailleurs, Loubignac, dans son étude sur les parlers du Maroc central, mentionne un verbe ar : « être vide/être désert » (1924 : 177 et 487), dont le sémantisme permet d’envisager qu’il puisse être à l’origine du morphème de négatif/privatif
Cette hypothèse, qui suppose la chute – très classique en berbère – d’une semi-voyelle /w/ à l’initiale du verbe (racine WR > R), est confortée par certaines données morphologiques touarègues qui pous-sent à considérer le segment wer comme un ancien verbe d’état. En effet, dans les parlers de l’Ahaggar, le morphème de négatif prend, en proposition relative déterminative, une forme particu-lière : weren au masculin et weret au féminin (Cf. Cortade 1969 : 34, 41, 192-197 ; Prasse 1972 : 244) :
(5a) amàar weren ekšé : vieillard nég ayant-mangé
= « un vieillard qui n’a pas mangé »
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(5b) tamàart weret tekšé : vieille nég ayant-mangé
= « une vieille qui n’a pas mangé »
Dans le même environnement, l’allomorphe weren n’est pas du tout inconnu dans le reste du domaine berbère puisqu’on l’on y relève aussi, très régulièrement :
(6) amàar wer n-e©©i : vieillard nég ayant-mangé
= « un vieux qui n’a pas mangé »
Mais les descriptions des dialectes non-touaregs opèrent très généralement une coupe qui asso-cie la nasale au thème verbal plutôt qu’à la négation. En berbère nord, on considère que la marque du participe (obligatoire dans ce type de relative) suit le thème verbal au positif (ye©©a-n et le précède au négatif (wer n-e©©-i). Les faits touaregs suggèrent évidemment une tout autre analyse historique du groupe wer (e)n : la liaison phonétique et prosodique très forte entre la négation et la nasale et le fait que celle-ci s’oppose à une marque /t/ au féminin montrent qu’il s’agit en fait d’une ancienne alter-nance finale de genre entre une forme weren et une forme weret. Or, ce type d’opposition est caracté-ristique en touareg Ahaggar du participe des verbes d’état :
(7) amàar maqqeren = un chef/vieillard étant grand (âgé)
tamàart maqqeret = une vieille étant grande (âgé)
Le parallélisme avec le couple weren/weret est total et pousse donc à considérer les formes toua-règues de la négation en contexte relatif comme le figement d’anciennes formes participiales d’un verbe d’état. Le berbère nord a non seulement perdu partout la distinction de genre pour le participe (ce qui explique l’absence d’une forme du type weret) mais aurait aussi abouti à une segmentation qui fait de la nasale plutôt un préfixe du thème verbal qu’un suffixe de l’élément négatif. Bien entendu, on devra supposer qu’une telle évolution est très ancienne puisqu’elle est quasiment générale dans les dialectes nord et que la nasale du participe y a acquis une autonomie totale vis-à-vis de la marque né-gative dont elle peut être séparée par diverses insertions : en berbère nord, il est clair qu’en synchronie le morphème n du participe négatif est bien un préfixe du thème verbal.
En tout état de cause, on voit que de nombreux indices, lexicaux et morphologiques, vont dans le sens de la formation de la négation wer et du privatif nominal war à partir d’un ancien verbe d’état, dont le signifié pourrait être celui relevé par Loubignac « être vide » ; dans cette hypothèse, la néga-tion verbale wer procéderait de la grammaticalisation d’un ancien auxiliaire verbal précédant le thème du verbe nié.
Le second élément de la négation discontinue verbale : ara, ani, kra, k, ša, š...
Un très grand nombre de dialectes berbères, surtout ceux de la zone Nord, ont tendance à ac-compagner le morphème pré-verbal wer d’un second élément post-verbal, dont la fonction initiale de renforcement est patente. En fait, on doit distinguer deux cas de figure :
a)- Celui où le second élément est un lexème (ou un syntagme) nominal facultatif, bien vivant et ayant par ailleurs son sens plein dans le dialecte ; il s’agit alors d’un simple renforcement sémantique, à fonction expressive, que les autres contributions berbérisantes de ce volumes illustrent abondam-ment.
b)- Celui où le second élément est obligatoire (ou quasiment) et nettement indépendant aux plans morphologiques et fonctionnels par rapport à un étymon connu ou supposé. On a alors affaire à un morphème grammatical, second constituant d’une négation discontinue.
Bien entendu, la frontière entre les deux types est floue et l’on voit bien en berbère que le type (b) provient de la grammaticalisation d’une forme de type (a).
Dans tous les cas, même dans ceux où la grammaticalisation est complète, l’origine nominale (ou pro-nominale) du renforcement est à peu près établie. Il en est ainsi, même s’il subsiste quelques
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zones d’obscurité, pour ara du kabyle (Grande Kabylie), dont l’origine nominale est confirmé par l’existence d’une forme à initiale /w/ (wara) qui ne peut être que la marque de l’état d’annexion du nom :
(8) ur dd yeqqim wara = « il ne reste rien » (= rien ne reste)
énoncé dans lequel wara est encore très clairement le complément explicatif (« sujet lexical » post-posé) du verbe yeqqim et est, à ce titre, marqué par l’état d’annexion.
On a rapproché ce ara kabyle du lexème haret / aret « chose » du touareg et du pronominal indéfini éré « quiconque ». D’autre part, en kabyle même, le segment ara a bien d’autres fonctions (grammaticales) que celle de second élément de négation verbale : il est aussi relateur dans certains contextes relatifs (avec thème verbal d’aoriste), n’impliquant aucune négation :
(9) argaz yeddan : homme étant allé (P)
= « l’homme qui est allé »
argaz ara yeddun : homme ara allant (A)
= « l’homme qui ira/irait »
Ce statut de pronominal indéfini, en fonction de support de détermination (Galand 1974/a) est encore plus nette dans des énoncés à anticipation du type :
(10) ara s fkeà, d tiyita ! : ce-que à-lui donne-je, c’est coup
= « ce que je vais lui donner, c’est une (bonne) raclée » !
Selon toute vraisemblance, le ara kabyle est donc un ancien nom ara/wara de signifié « chose quelconque » qui a eu tendance à se grammaticaliser dans diverses fonctions, celle de pronom indéfini en fonction de relateur et celle de second élément de négation.
Des processus similaires peuvent être mis en évidence pour la plupart des seconds éléments de négation : kra, k, šra, ša , š, ani... Certains ont été analysés dans des travaux récents (Brugnatelli 1986, Rabhi 1992), d’autres le seront dans les contributions à ce volume.
Une question importante reste pendante à propos de la diffusion de la négation à deux éléments : le rôle éventuel des contacts avec l’arabe dialectal. La négation verbale discontinue est bien attestée dans les dialectes arabes maghrébins, souvent sous des formes très proches de celles du berbère (se-cond éléments en š, notamment). Une (inter-)influence consécutive aux contacts anciens et intimes entre les deux langues est donc assez probable. Il est cependant difficile en l’état actuel des études de faire le départ entre phénomènes de contacts éventuels – et, dans ce cas, de déterminer le sens de l’influence – et évolutions indépendantes parallèles. Cette dernière explication ne peut être exclue puisque l’on sait bien que le renforcement de la négation et, à partir de là, la formation de négations discontinues, est une tendance très largement répandue dans les langues du monde pour des raisons sémantiques et énonciatiques évidentes. Ce point devra certainement faire l’objet d’études approfon-dies de dialectologie comparée berbère/arabe. Mais dès à présent, plusieurs constats factuels s’imposent :
– La négation discontinue est quasiment généralisée en arabe maghrébin, mais elle est aussi bien connue en arabe moyen-oriental ; ce qui affaiblit évidemment beaucoup l’hypothèse d’une influence décisive du substrat/adstrat berbère sur l’arabe dialectal maghrébin dans ce domaine.
– Ce sont uniquement les dialectes berbères nord, c’est-à-dire ceux qui sont en contact le plus étroit avec l’arabe dialectal, qui ont totalement grammaticalisé le second élément de la négation (ka-byle, chaoui, tamazight...).
– Les matériaux morphologiques utilisés par le berbère pour constituer son second élément de négation sont divers, mais ils présentent un net parallélisme sémantique et, dans certains cas formel, avec ceux de l’arabe maghrébin. Les morphèmes les plus fréquents (ara, kra, ka, k, šra, ša, š... ; Cf. Brugnatelli 1985 et ici même les autres contributions berbérisantes), paraissent tous se ramener à deux
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étymons nominaux/pro-nominaux fondamentaux : ara/wara « chose quelconque » et kra « chose, quoi que ce soit », dont on suit bien, à travers les variétés dialectales, tous les stades de réduction phonéti-que : kra > ka > k ; kra > ša > ša > š. Incidemment, cette chaîne, bien établie, de transformations phonétiques en berbère permet de rejeter l’hypothèse, souvent formulée par les auteurs anciens ou actuels, d’un emprunt à l’arabe du second élément š de la négation. La ressemblance des signifiants (berbère u(r) – ša/š ; arabe ma – š) est certainement fortuite.
Pour toutes ces raisons, il semble assez difficile de retenir la thèse d’un emprunt direct du ber-bère à l’arabe ou l’inverse. On doit plutôt envisager une évolution convergente par contact, allant dans le sens la constitution d’une négation à deux éléments, le second élément étant puisé, dans les deux langues, dans les mêmes classes lexico-sémantiques.
Le noyau verbal nié
Partout, la négation a une incidence forte sur le verbe nié : le paradigme des formes thématiques possibles en contexte négatif connaît d’importantes modifications par rapport à celui de l’énoncé posi-tif. Deux configurations sont représentées et combinés dans les différents dialectes : l’apparition de thèmes verbaux spécifiques dits « négatifs » et/ou la réduction, souvent très marquée, du paradigme des thèmes après la négation.
Le Prétérit négatif (PN) : une forme généralisée et
ancienne.
Au thème de prétérit, dans quasiment tous les dialectes, après la négation wer/ur, le verbe nié prend, pour certaines catégories morphologiques de verbes, une forme particulière, avec vocalisation en /i/ (ou /é/ en touareg), dite thème de "prétérit négatif" (PN) ou "thème en /i/". Du point de vue de l’analyse synchronique, les choses ne souffrent d’aucune ambiguïté : le thème de prétérit négatif est une simple variante morphologique obligatoire du prétérit en contexte négatif. En d’autres termes, il n’y a fonctionnellement qu’un seul thème, le prétérit, qui connaît deux réalisations selon les contextes :
P se réalise → P en énoncé positif
→ PN en énoncé négatif.
PN est donc une simple contrainte morphologique, ce que confirme d’ailleurs la tendance mar-quée dans de nombreux parlers berbères, à en abandonner l’usage (P devenant la forme unique). C’est notamment le cas dans de larges zones du domaine chleuh (Sous), mais on constate, même dans les dialectes où l’usage de PN est bien établi, une régression sensible. En kabyle, par exemple, dans l’usage courant, non littéraire, il disparaît souvent au profit de P et l’on relève, pour de nombreux ver-bes, une hésitation des locuteurs quant à l’existence d’une forme PN. PN est un thème verbal non fonctionnel, en nette perte de vitesse.
Mais il en a été évidemment autrement à une date ancienne. La non pertinence actuelle est nécessaire-ment secondaire et le thème PN a eu, en d’autres temps, une fonction sémantique réelle. C’est ce dont témoigne encore très clairement le kabyle puisque dans ce dialecte le thème en /i/ n’est pas limité au contexte négatif : il est également utilisé après les subordonnants d’hypothèse (mer, lukan, « si ») :
(11) mer yeddi, a dd yawi amur-is = « s’il y était allé, il aurait eu sa part »
Cette extension confirme, comme l’avait noté André Basset (1952 : 15), que le thème en /i/ n’est pas primitivement une forme de négatif. Il avait très probablement une fonction et des usages beau-coup plus larges qui se sont réduits au cours de l’évolution de la langue. L’hypothèse la plus sérieuse a été formulée, il y a déjà longtemps, par André Picard (1959), même si l’approche est maintenant quel-que peu dépassée ; ce thème en /i/ serait une ancienne forme à valeur intensive qui devait être em-ployée dans des environnements à forte modalisation : énoncés négatifs (interdiction), de souhait, d’hypothèse irréelle etc.
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Les formes négatives de l’aoriste
De manière quasi symétrique, il existe dans un grand nombre de dialectes, une forme particu-lière d’aoriste intensif négatif (AIN) dont l’apparition est strictement déterminée par la présence de la négation wer/ur ; on aura ainsi en touareg :
- AI : i-taway = « il emmène (habituellement) »
- AIN : (ur) i-tiwi = « il n’emmène pas (habituellement) »
(du verbe awey "emmener, amener, emporter")
L’étude récente de Kossman (1989) a montré que le phénomène était assez largement diffusé à travers le domaine berbère : touareg, mozabite, ouargli, rifain... et qu’il avait donc de fortes chances d’être ancien, voire "berbère commun".
Pour ce qui est du complexe ad + Aoriste, qui peut être considéré comme une véritable forme de base dans de nombreux dialectes, avec une valeur temporelle (futur) ou modale (potentiel) (Cf. Chaker 1995), les situations sont plus diverses, mais on observe toujours un impact sensible de la négation :
- En touareg, ad est exclu en énoncé négatif et est remplacé par un allomorphe za, zé, hé, Ahag-gar), sans doute un ancien adverbe (« alors, donc » ; Cf. chleuh za, Aspinion 1953 : ). On aura donc :
(12) ad aweyeà aman = « j’emmènerai de l’eau »
(12b) ur za aweyeà aman = « je n’emmènerai pas d’eau »
- En kabyle et dans de nombreux dialectes nord (chaoui, tamazight...), on observe un phéno-mène intéressant de réduction du paradigme : en face des différentes formes issues de l’aoriste (quatre au minimum : Aoriste, Aoriste intensif, ad + Aoriste, ad + Aoriste intensif), il n’y a plus, en énoncé négatif que l’Aoriste intensif. En d’autres termes, il y a neutralisation des différentes formes de la sphère de l’aoriste au profit du seul Aoriste intensif, qui acquiert ainsi le statut d’"archi-aoriste" poly-valent :
Enoncé positif Enoncé négatif
A : yawi
ad + AI : ad yawi
AI : yettawi ur yettawi
ad + AI : ad yettawi
Dans ces dialectes, en énoncé verbal négatif, le système des formes en opposition se réduit donc de manière drastique puisqu’il n’existe plus que deux thèmes :
P (PN) ∼ AI
Sachant que PN est certainement une ancienne forme d’intensif (Cf. supra), on aboutit alors à un constat fort intéressant : en contexte négatif, de nombreux dialectes berbères, à un moment donné de leur histoire, ont eu tendance à n’employer que des thèmes intensifs, confirmant ainsi l’existence d’un lien sémantique étroit entre négation et modalisation. La négation n’est effectivement pas une simple opération logique neutre opérant sur l’énoncé positif : elle implique le plus souvent une très forte intervention de la subjectivité du locuteur, d’où cette tendance à recourir à des formes intensives.
L’examen des données berbères dans leur diversité indique que, même là où il n’y a pas réduc-tion de l’inventaire (en chleuh par exemple), au plan des signifiants, l’énoncé négatif est rarement le symétrique strict du positif : on y relève presque toujours d’importantes asymétries et/ou variations morphologiques, notamment au niveau des préverbes de l’aoriste. Le syntagme verbal négatif est de ce fait bien souvent éclairant sur la morphogenèse des formes secondaires et sur les processus de gram-maticalisation. Ainsi les matériaux chleuhs apportent une confirmation nette de certaines hypothèses diachroniques (Chaker 1996). L’existence des couples positif/négatifs suivants :
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ad i-sker (A) ad ur i-sker (A)
ar + i-skar (AI) ur a i-skar (AI)
(du verbe sker "faire")
établit :
– le caractère secondaire et nettement périphérique du préverbes modal/temporel ad qui a dû être une détermination de type adverbial de l’énoncé global avant de s’agglutiner au noyau verbal ;
– que, malgré la répartition dialectale actuelle entre les préverbe de l’aoriste intensif (ar, a, la, da), ces morphèmes appartiennent bien à un stock commun de déterminations du verbe, dont les élé-ments ont été employés partout et étaient donc au départ en opposition.
A = aoriste P = prétérit
AI = aoriste intensif PI = prétérit intensif
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