Vous n'êtes pas identifié.
ANZAR
CAMPS Gabriel
Encyclopédie Berbère, Edisud, Aix-en-Provence, 1989, vol. VI, p. 795-797.
La fiancée de la pluie à Tabelbala, Saouara, Algérie, Paris, musée de l'Homme.
C’est le nom masculin de la pluie, mais celle-ci est personnalisée. Anzar apparaît comme l’élément bienfaisant qui renforce la végétation, donne les récoltes et assure le croît du troupeau. La pluie, elle-même assimilée à la semence, entre donc dans les pratiques de magie sympathique. Pour obtenir la pluie longue à venir, il faut solliciter Anzar et tout faire pour provoquer son action fécondante. Tout naturellement et sans doute depuis un temps très ancien, les Berbères ont pensé que la plus efficace des sollicitations était d’offrir à Anzar une « fiancée » qui, en provoquant le désir sexuel, créerait les conditions favorables à l’écoulement de l’eau fécondante.
Cette symbolique sexuelle naïve entre dans les mêmes systèmes de pensée que d’autres pratiques telles que les baignades de femmes nues au solstice d’été, pendant l’Awusu et déjà condamnées par Saint Augustin au Ve siècle, les « nuits de l’erreur » signalées en Afrique du Nord, en divers lieux et à différentes époques, et durant l’Antiquité, les pratiques sexuelles plus ou moins symboliques qui accompagnaient le culte des Cereres.
Dans le cas de la fiancée d’Anzar, pratique universelle dans le Maghreb mais plus vivace dans les régions prédésertiques, on habille de chiffons une poupée de bois, simplement suggérée par un pilon ou une louche et dont les bras sont figurés par deux cuillers destinées à recevoir et à conserver symboliquement l’eau de pluie tant attendue. En certains lieux, comme à Tabelbala (Saoura), c’est un véritable vêtement qui est taillé et cousu autour de l’assemblage de bois, des parures diverses, colliers et bracelets confortant l’idée qu’il s’agit bien d’une cérémonie nuptiale. Le nom le plus répandue donné à cette poupée est celui de ghanja sous différentes formes (Taghonja, Tarenza...) par allusion à la cuiller symbole et réceptacle lié à l’alimentation et donc doublement efficace. Plus simplement la poupée est appelée Tislit n unzâr (fiancée d’Anzar) ou Tislit n waman (la fiancée de l’eau). Dans le Rif on utilisait de préférence à la cuiller, la pelle à vanner pour servir d’armature à la poupée : en cela aussi le symbole bénéfique est évident : la pelle est aussi un réceptacle, elle est en outre sacralisée par sa fonction liée à la récolte.
La poupée féminine est, dans certaines régions (Tasemtit, Haut-Atlas), accompagnée de l’image d’Anzar lui-même. Anzar est vêtu de noir par assimilation à un ciel chargé de nuages prometteurs de pluie. La fiancée d’Anzar est portée par une femme qui, parfois se contente de brandir une simple louche ou cuiller à pot lors de la procession (Tunis, Jerba, M’zab...). Là où le rite dégénère, il peut être repris, sous forme carnavalesque, par les enfants qui se souviennent cependant des rogations pour la pluie.
Plusieurs observations ou récits permettent de penser que la poupée actuelle n’est qu’un simulacre destiné à remplacer une véritable « fiancée » offerte à la pluie. Un texte recueilli par H. Genevois chez les At Ziki du haut Sebaou (Kabylie) est tout à fait explicite. Il comprend deux parties : une légende qui explique l’origine du rite et la description du rite lui-même tel qu’il se pratiquait « à l’époque où les At Qasi et les At Jennad se battaient contre les Turcs », c’est-à-dire au XVIIIe siècle. La légende peut être résumée ainsi : Anzar, le roi de la pluie (le terme aguellid est ici expressément employé) désirait épouser une jeune fille d’une merveilleuse beauté qui avait l’habitude de se baigner toute nue dans une rivière; comme elle se refusait à lui par crainte du qu’en-dira-t-on, Anzar tourna la bague qu’il portait au doigt et la rivière tarit immédiatement. La jeune fille appela alors Anzar à grands cris, il reparut et s’unit à elle, la rivière se remit à couler et la terre reverdit. Le récit précise : « Voilà l’origine de cette coutume, en cas de sécheresse on célèbre sans tarder Anzar et la jeune fille choisie pour la circonstance doit s’offrir nue ».
Effectivement, le rite pour obtenir la pluie, tel qu’il est rapporté par ce récit kabyle, était organisé par les femmes bien que la plus grande partie de la population y participât. La matrone du village préparait la toilette de la fiancée d’Anzar et remettait à la jeune fille une cuiller à pot (aghonja). Tout au long de la procession, la fiancée ne cessait de psalmodier, en réclamant, en termes précis, l’intervention d’Anzar. Au cours de la procession, les familles visitées offraient de la nourriture et aspergeaient le cortège en visant la fiancée. Arrivées à l’un des sanctuaires du village, les femmes préparaient un repas avec les produits offerts pendant la procession. Après quoi la matrone dénudait la fiancée qui s’enveloppait dans un des filets servant au transport des gerbes ou du fourrage. Elle implorait à nouveau Anzar, en tournant autour du sanctuaire, exprimant son consentement, s’offrant au Maître de la pluie, citant tous les êtres vivants, hommes, animaux, végétaux qui attendent, comme elle, l’eau bienfaisante. Les femmes chantaient aussi, faisant appel à Anzar au nom de la Terre-Mère sans force et desséchée. Pendant ce temps, les jeunes filles pubères s’assemblaient autour de la fiancée d’Anzar, toujours nue, et entamaient une partie de zerzari, jeu de balle très répandu au Maghreb et plus souvent connu sous le nom de koura ou takurt. Ce jeu se pratique avec une crosse, les joueurs se disputent une balle en liège, ailleurs en chiffons, jusqu’à ce que celle-ci tombe dans le trou préparé à cet effet. À ce moment, la fiancée entonnait un nouveau chant encore plus pressant auquel répondait le chœur des jeunes filles. La balle était enterrée dans le trou, comme le serait une semence, et toutes les femmes retourneraient au village. La pluie ne manquait pas de tomber dans les jours qui suivaient.
L. Jouleaud, à la suite de Doutté, Westermarck et Laoust, n’a pas manqué de signaler la conjonction entre le jeu de la koura, très ancien en Afrique du nord et les rites d’obtention de la pluie. D’après Westermarck (1914, p. 121), chez les Aït Waraïn du nord-est du Moyen Atlas, deux ou trois femmes entièrement nues jouaient à la koura pour obtenir la pluie. Il en était de même chez les Tsul, au nord-ouest de Taza, où les joueuses utilisaient une cuiller pour lancer la balle. Ainsi se trouvent étroitement rassemblés dans le même jeu rituel, la nudité provocante, le symbole de la cuiller réceptrice et le jeu de la balle, image de la semence qui pénètre dans la terre.
BIBLIOGRAPHIE
* Doutte E., Marrakech, Paris, Comité du Maroc, 1905.
* Bel A., « Quelques rites pour obtenir la pluie en cas de sécheresse », XIVe congrès des Orientalistes, Alger, 1905.
* Westermarck, Ceremonies and Beliefs connected agriculture, certain dates of the solar year and the weather in Morocco, Helsingfors-Londres, 1914.
* Laoust E., Mots et choses berbères, Paris, Larose, 1920.
* Benoît F., « Survivances des civilisations méditerranéennes chez les Berbères. Le mystère de la ‘nuit de l’erreur’ », Rev. anthrop., t. XL, 1930, 16 p.
* Probst-Biraben J. A., « Les rites d’obtention de la pluie dans la province de Constantine », Journ. de la soc. des Africanistes, t. II, 1932, pp. 95-102.
* Joleaud L., « Gravures rupestres et rites de l’eau en Afrique du Nord », Journ. de la soc. des Africanistes, t. II, 1933, pp. 197-282.
* Genevois H., « Un rite d’obtention de la pluie. La ‘fiancée d’Anzar’ », Proceeding of the second international congress of studies on cultures of the western Mediterranean, Malte, 1976, pp. 393-400.
* Camps G., « Les croyances protohistoriques en Afrique du Nord », Mythes et croyances du monde entier, Lidis, Paris, 1985, t. III, pp. 304-319.
Hors ligne
« II était jadis un personnage du nom d’Anzar. C’était le Maître de la pluie. Il désirait épouser une jeune fille d’une merveilleuse beauté : la lune brille dans le ciel, ainsi elle brillait elle-même sur la terre. Son visage était resplendissant, son vêtement était de soie chatoyante.
Zik illa yiwen qqarn as Anzâr. D netta d Agellid n ugeffur. Yebgha ad yagh yiwet tteqcict : aggur deg genni, nettat di lqaàa. Udm is yettak ticci ; talaba is d lêhrir amseààel.
There was once a character named Anzar. He was the Master of the rain. He wished to marry a girl of marvellous beauty: like the moon in the sky, she shone on ground. Her face was resplendent, her clothing of shining silk.
Elle avait l’habitude de se baigner dans une rivière aux reflets d’argent. Quand le Maître de la pluie descendait sur terre et s’approchait d’elle, elle prenait peur, et lui se retirait.
Taqcict agi g mi ara d tekker teccuccuf deg yiwen wasif, aman is d imzârfen. Akkn ara d isûbb Ugellid nni ugeffur ar elqaàa gher teqcict nni, nettat tettagad, dgha ad yughal.
She was accustomed to bathing in a river of silver reflection. When the Master of the rain went down on ground and approached her, she would shy away from fear, and Anzar would withdraw.
Un jour, il finit par lui dire :
Almi d yiwen wass yenna yas:
One day, Anzar addressed the young woman:
Tel l’éclair j’ai fendu l’immensité du ciel,
ô Toi, Étoile plus brillante que les autres,
donne-moi donc le trésor qui est tien
sinon je te priverai de cette eau.
Aql i gezmegh d igenwan,
a yiwen n itran ;
fk iyi akejjud im fkan,
ngh am kksegh aman.
Like the flash, I split the immensity of the sky,
O you, Star more brilliant than the others,
Give me then the treasure which is yours or
I will deprive you of this water.
La jeune fille lui répondit :
Terra yas teqcict :
The girl answered him:
Je t’en supplie, Maître des eaux,
au front couronné de corail.
(Je le sais) nous sommes faits l’un pour l’autre…
mais je redoute le « qu’en dira-t-on »…
Txil k, ay Agellid n waman,
a bu teàsâbt n lmerjan,
nekk i ketc iwmi yid fkan,
meàna ugadegh i imennan.
I beg of you, Master of water,
With coral crowned face,
(I know it) we are made one for the other
but I fear what would people say.
À ces mots, le Maître de l’eau tourna brusquement la bague qu’il portait au doigt : la rivière soudain tarit et il disparut. La jeune fille poussa un cri et fondit en larmes. Alors elle se dépouilla de sa robe de soie et resta toute nue. Et elle criait vers le ciel :
Dgha yekker fellas Ugellid nni n waman, yebrem taxatemt tetturegh. Dgha yeqqel wasif nni d agherghar ; Agellid ighab. Taqcict tughwas, rrûh is d aman : tetru, tetru. Temmegh tekkes talaba nni n lêhrir, teqqim ttaàarit. Tessawal ar igenni :
To these words, the Master of water abruptly turned the ring oh his finger: suddenly the river dried up and he disappeared. The girl pushed a cry and fell down crying. Then she stripped off her silk dress and remained naked. And she shouted towards the sky:
Ô Anzar, ô Anzar !
Ô Toi, floraison des prairies !
Laisse à nouveau couler la rivière,
et viens prendre ta revanche.
Ay Anzâr, ay Anzâr,
ay ajejjig uzaghar ;
asif rr as làinsêr,
rûh ad d rrêd ttâr.
O Anzar, O Anzar
O you, without whom the meadows do not bloom,
Let the river flow again,
And come take your revenge!
À l’instant même elle vit le Maître de l’eau sous l’aspect d’un éclair immense. Il serra contre lui la jeune fille : la rivière se remit à couler et toute la terre se couvrit de verdure.
Dgha cwît kan akka twala ifettîwej d ameqqran, yeqql Ugellid nni n lehwa. Iger taqcict nni g iri is. Asif nni yeqqel akken yella ; tzegzew ak tmurt.
At that moment, she saw the Anzar in the shape of an immense flash. He tightened girl against him, the river started flowing again, and all of Earth was covered of greenery.
Voilà l’origine de cette coutume : en cas de sécheresse on célèbre sans tarder Anzar. Et la jeune fille choisie pour la circonstance doit s’offrir nue. »
Dgha teqqim d akken ttisirit. Ticki yemmegh ugherghar ad nebder mebla leàdil Anzâr. D aymi tettekkes teqcict àaryan.
2. Le rite lui-même
« À l’époque où se durcit la terre, et que se présente ce que l’on nomme ‘sécheresse’, les vieilles se réunissent pour fixer le jour où elles célébreront Anzar.
Mi ara tnezruref tmurt, d aymi neqqar « aghurar », ad nejmaàent tlawin timeqqranin, ad meslayent f teswiàt g ara weqment Anzâr.
Au jour dit, toutes (les femmes), jeunes et vieilles, sortent, accompagnées des jeunes garçons, et elles chantent :
Ata yebbdêd lweqt nni, ad ffghent tlawin g tmeqqrant alamma ttamêzyant ; ad rnun igerdan, ad tteddun tghennin :
Anzar ! Anzar !
Ô Roi, fais cesser la sécheresse,
et que le blé mûrisse sur la montagne
comme aussi dans la plaine...
Anzâr ! Anzâr !
ay Agellid, rêz d aghurar,
A ttebb nneàma n wedrar,
A tternu tin uzaghar…
Autrefois on escortait processionnellement une jeune fille pubère et de plus gracieuse. On lui mettait le henné et on la parait des plus beaux bijoux : bref, on en faisait une ‘fiancée’.
Zik ssêhwasent taqcict tilemzît yerna tezyen : ttin yebbwdên tizi n zzwaj. As qqnent lhênni, ssdaq n lfettâ, ad as xedment akw ayen xeddmen i teslit.
La matrone du village, femme aimée de tous et de conduite irréprochable, devait procéder elle-même à la toilette de ‘la fiancée d’Anzar’. Ce faisant, elle ne devait pas pleurer, sinon on aurait pu penser qu’elle ne donnait pas de bon cœur à Anzar sa fiancée. Elle remet à la jeune fille une cuiller à pot (aghenja) sans aucun ornement qu’elle tiendra à la main. Puis la matrone charge ‘la fiancée d’Anzar’ sur son dos.
Tamettût ara as icebbhên i teslit n wenzâr d lqibla n taddart : Tamettût hemmlen tt akw medden, tin zeddigen g fàayl is. Ur ilaq ara a ttettru, zeàma ur s tefki ara tislit nni seg ul yesfan i wenzâr. As tefk i teqcict nni aghenja d aàari a tettêf deg fus is. Lqibla a ttebbib tislit n wenzâr.
Celle-ci, la louche en main, ne cesse de redire :
Neftat, aghenja deg-fus-is, atteqqar :
Ô Anzar, la louche est sèche,
toute verdure a disparu.
Le vieillard est voûté par les ans,
la tombe l’appelle à elle.
Mon ventre est stérile
et ne connaît pas de progéniture.
Ta fiancée t’implore,
ô Anzar, car elle te désire.
Ay Anzâr, aghenja yekkaw,
ighab uzegzaw.
Amghar yekna,
Isawl as d uzêkka.
Taàbbût tuqqur aya,
ulac dakira.
Tislit ghur k teàna,
ay Anzâr, imi k tebgha.
Un immense cortège les accompagne composé des gens accourus du village qui les suivent par derrière. À chaque seuil devant lequel passe le cortège, de nouveaux membres se joignent à lui et chantent eux aussi :
A tent tettâfar deffir tecdîbt i d yesran tjeggajêt ; yeàni akw lghaci nni i d yeddan deffir. Kra n timi n wexxam f ara d àeddi tjeggajt nni yerna adernun ghurs, ad tteddun qqaren :
Anzar ! Anzar !
Ô Roi, fais cesser la sécheresse,
et que le blé mûrisse sur la montagne
comme aussi dans la plaine…
Anzâr ! Anzâr !
ay Agellid, rêz d aghurar,
A ttebb nneàma n wedrar,
A tternu tin uzaghar…
Sur le trajet de la procession on offre semoule, viande fraîche ou séchée, graisse, oignons, sel… Et les familles ainsi visitées jettent de l’eau sur les têtes, s’efforçant surtout d’atteindre la fiancée que le cortège emmène avec lui.
Ansi kkan lghaci yagi asn d fken awren, aksum, acedlûh ngh aqeddid, lebsêl, zzit, lmelh… At wexxam ff ara àeddin asn id dêggren aman f uqqerruy, yerna kkatn ad lêhqen tislit nni (i) i wwin yidsen.
Une fois arrivées à la mosquée ou à l’un des sanctuaires (du village), les femmes déposent la fiancée. Puis elles se mettent à faire cuire ce qu’elles ont recueilli de porte en porte : huile, oignons… Et tous les accompagnateurs prennent part à ce repas. Celui-ci terminé, on lave sur place les ustensiles et on jette l’eau dans la rigole.
Mi iwwdênt tlawin nni ar ljameà negh ar hêdd iàessasen, ad sersent tislit nni. Ad kkrent tlawin ad sebbwent ak ayen i d mmetrent f tbbura : d zzit, d lebsêl. Ad ttcen ak wid d yeddan ar dinna. Mi fukkn utci ad sirdent tlawin ijqedren dinna. Aman nni i ss i sardent a ten smirent ar targa.
Après quoi, la matrone enlève ses habits à la fiancée, et la laisse nue comme au jour de sa naissance. La jeune fille s’enveloppe d’un filet à fourrage – et ceci signifie qu’il n’y a plus ni verdure ni rien de ce que produit la terre ; bref, que les gens en sont réduits à manger de l’herbe. Puis elle fait sept fois le tour du sanctuaire, tenant la louche en main de façon à avoir la tête de la louche en avant comme si elle demandait de l’eau. Tout en tournant, elle répète :
Sinna ttusawent lqibla a ttettêf tislit nni, as tekkes àaryan akkn ttidntejja yemmas. A ttels tajemmaàt ; zeàma ifukk lwerq, ifukk wayn id ttajja lqaàa, dgha teqqel teswiàt almi terra imdanen ar tjemmaàt. Ad ttezzi teslit nni sebàa tikal i jameà ; a ttettêf aghenja nni g fus is, aqerruy nni ad yezwir ar zdat is am akkn ara têdleb aman, a tteqqar :
Ô vous, Maîtres des eaux, donnez-nous de l’eau…
J’offre ma vie à qui veut la prendre.
Ay at waman, awi t id aman,
nefka tarwîht i wit yebghan.
C’est pour cette raison qu’on la nomme ‘la fiancée d’Anzar’.
Ff ayagi qqarn as « tislit n wenzâr ».
Quand la jeune fille ainsi offerte à Anzar a terminé sa giration autour de la mosquée ou du sanctuaire, elle dit :
Ihi tilemzît agi ara d ibeddn akka ar wenzâr, mi d fukk tuzzya n ljameà ngh uàessas (anda tfêttn anzâr), as tini :
Je regarde la terre :
la face en est dure et sèche.
Pas une goutte d’eau dans le ruisseau.
L’arbrisseau des vergers s’étiole.
Anzar, viens à notre secours,
tu ne peux nous abandonner, ô Noble.
J’entends le gémissement de la terre
pareil à celui du prisonnier plein d’ennui.
Pas une goutte ne suinte des outres,
le limon est rempli de crevasses.
Je me plie à ta volonté ô Anzar,
car devant toi je ne suis rien.
L’étang se vide et s’évapore,
il devient le tombeau des poissons.
Le berger reste tout triste
maintenant que l’herbe est flétrie.
Le filet à fourrage est vide, il a faim…
il m’étreint comme ferait une hydre.
Ssukk agh d tît af tmurt,
Udm is yennezruref.
izêri deg ghzer yeqqur,
isegmi nddhus yekref.
Ay Anzâr, fk agh d afus ik,
yeàni ljid agh yanef ?
Sligh tamurt tetnizzif,
bhâl amêhbus g ttîq.
Taylewt ur d ttudum,
kul ires la yetceqqiq.
Uzengh ak in, ay Anzâr,
Zdat ak ay lligh d ariq.
Yeqqur wemdun yettafwar,
yeqql i iselman d azêkka.
Yeqqim umeksa yendel,
tura rghan akw ikussa.
Tajemmaàt texla tellûz,
Thêrs iyi amzun d talafsa.
Après quoi les femmes réunies dans le sanctuaire entonnent le chant que voici :
Tghennint tlawin leghna yagi g ljameà mi ara tfakk teslit tuzzya n ljamà nni :
Ô Anzar au cœur généreux,
le fleuve n’est plus que sable desséché.
La clef, c’est toi qui la possèdes,
de grâce, libère la source.
La terre agonise
injecte son sang jusqu’en ses racines.
Ô Roi, ô Anzar,
notre Mère la terre est sans force
Elle patiente, elle compte sur toi,
comme elle a accepté de toi le manque de nourriture.
Remplis la rivière de ta sueur
et la vie triomphera de la mort.
ÔAnzar, ô puissant,
Toi qui donnes la vie aux hommes,
délivre-les de leurs liens,
Toi le remède des blessures.
La terre attend, livrée comme une jument,
toute à la joie de ta venue.
Ô Anzar, fils du (ou de) géant,
Toi qui vis parmi les étoiles.
Notre gratitude te sera acquise évidemment
si tu nous donnes de l’eau.
Ô Anzar, ô Roi,
Toi dont le charme est sans égal,
tu as épousé une jeune fille, perle précieuse,
à la chevelure souple et lisse.
La voici, donne-lui des ailes,
et foncez vers le ciel : allez,
À cause d’elle, parée de fine étoffe,
tu peux dire aux assoiffés : buvez !
Ay Anzâr, a buwul esxay,
yeqqel wasif d aqerqar.
Tasarut attan ghur k,
Txil k, lli d làinsêr.
Lqaàa tcehhêq,
Gr as idim ik g zâr.
Ay Agellid, ay Anzâr,
teghli tyemmat tamurt :
fellak ay tugh ssêber,
akken tugh lghiba n lqut.
Ccar d s tidi k ighzêr,
a ttali tudert zdat n lmut.
Ay Anzâr, a butezmert,
a win izêrràen lerwax.
fellasen kkes tamrart,
d ketci d ddwa n lejrâh.
Tamurt a tters am tegmert,
S tirza k i tferrêh.
Ay Anzâr, mmis ucacfal,
Tamaàict ik ger yetran,
tajmilt atbin inek,
ma tefkîd agh id aman.
Ay Anzâr, ay Agellid,
Sserr ik hêdd ur t yesài.
Tughêd taqcict am tyaqut,
tema amzur d imleghwi.
Attan, eg as afriwen,
kecmet deg genni, ruhêt.
Aff am tlaba reqqiqen,
I tennîd I wi fuden : Swet.
Cependant, quelques jeunes filles en âge d’être mariées, s’assemblent auprès de la fiancée toujours nue, pour le jeu dit ‘zerzari’ qui se pratique avec une balle de liège. Elles se groupent dans un endroit plat, non loin de la mosquée ou du sanctuaire. Munies chacune d’un bâton, elles se disputent la balle, jusqu’à ce que cette balle tombe dans le trou préparé pour la recevoir. Pendant ce temps là fiancée répète :
Ad kkrent kra ttêhdayin yellan af tizi n zzwaj, nutenti d teslit nni yekksen àaryan, ad urarent zerzari s txennact iferki. Ad nejmaàent g anda tella ludâ, dinna g ljameà negh g lemqam. Ad ttfent iàewzan, kul yiwet s yiwn uàkkaz. Ad ttfent taryalt iferki, ta a t tekks i ta. Ad idum wurar nni alama tekcem txennact nni ar uxemmuj i s heggant. Tislit nni a tfeqqar :
La terre et moi, nous sommes co-épouses,
nous avons épousé un homme sans l’avoir vu.
Nous ne sommes ni infirmes, ni stériles,
mais la clef est bloquée dans la serrure.
Nos seins ne donnent pas de lait :
comment du reste le pourraient-ils ?
Nekk d tmurt d takniwin,
nugh argaz ur t nzêrr ?
Ur nàab, ur ttiàiqrin,
meàna tasarut d irza i tzekkar.
Iffan nnegh qquren…
ulac ff ara d neggin.
Lorsque la balle a pénétré dans le trou, elle dit :
Mi tekcem teryalt nni iferki ar uxemmuj, as tini :
Je tends la main devant moi,
je ne trouve que le vide.
Ma main cherche derrière moi,
et ne trouve que moi-même.
Rien ne me retient que moi-même…
ô Anzar, ô Roi très bon,
ma vie m’est précieuse…
mais s’il la veut qu’il la prenne !
Fkigh afus ar zdat i
Temmugr iyi d ddunit.
Yughal d ar deffir
Yufa d d nekkini…
D iman iw iyi d yettfen,
ay Anzâr, ay Agellid n làali,
D tarwîht iw i yeàzizen…
ma icrêd it-id, a t yawi !
Les jeunes filles qui ont pris part au jeu avec elle, répondent :
Ad as inint têhdayin nni yuraren akw yids :
Nous avons atteint notre but :
la balle est à sa place.
Le Roi est descendu sur la terre :
la fiancée s’est soumise et l’a accepté.
Ô Roi, donne-nous de la pluie,
tu le vois, notre terre est assoiffée.
Alors elle nous donnera bonne récolte,
comme vous-même avez donné progéniture.
Neqdâ d taghawsa
taryalt tugh lmekna.
Agellid yers d ar lqaàa,
tislit tsebbeb terdâ.
Ay Agellid, awi d lehwa,
annagh tfud lqaàa,
akkn ad tefk ssâba,
akkenni ad tefkam ddakira.
La balle est enterrée dans le trou creusé pour elle avant le jeu. Toutes les femmes regagnent le village avant le coucher du soleil. On peut être assuré que peu de jours après la célébration d’Anzar, la pluie se met à tomber.
Taxennact iferki i s leàbent zerzari nêttlent daxl uxemmuj i s ghzan yakan weqbel urar. Ad ughalent tlawin nni merra ar taddart weqbel ad yeghli itîj. Zemregh ad inigh belli tekkat ad lehwa kra n wussan deffir ufettên n wenzâr.
Mais de nos jours, ce n’est plus une vraie mariée, parce qu’un chef l’a refusé autrefois : il a en effet refusé qu’une jeune fille se retrouve nue au cours du rite. Depuis on pare une louche que l’on appelle « la fiancée d’Anzar » [paragraphe traduit du kabyle par Fatiha Lasri]
Ma ttura kksen medden Tislit nni n ssêh axatêr yugi yiwen n Sid zik nni : yugi a ttekkes teqcict àaryan. Dgha tcebbihên kan i ughenja ttarrant « d tislit n wenzâr ».
À l’époque où les familles des At-Qasi et des At-Djennad se battaient contre les Turcs, les Marabouts mirent fin à l’ancienne procession (telle qu’elle vient d’être décrite). Ainsi nous l’ont racontée nos aïeules. Malgré cela, certains villages continuèrent la procession ‘ancienne manière’ ; d’autres la cessèrent immédiatement par peur de la malédiction des Marabouts. Dans ce dernier cas ils se contentent de transporter processionnellement la seule cuiller à pot, magnifiquement ornée au préalable comme une fiancée. Le rituel est à peu près le même, hormis bien sûr la dénudation qui n’est pas nécessaire. Le repas terminé, ce sont les jeunes filles qui se livrent au jeu de ‘zerzari’.
Asmi tnaghn At-Qasi, At-Jennad nutni d Tturk, i lweqt nni i shêrmen yemrabdên tukksa àaryan teslit n wenzâr. Akka i d hekkun imezwura negh. Akken, llant tuddar ikemlen akkenni, llant tuddar yugaden deàwessu. Ad tawi lqibla aghenja ajdid, as tewqem allen, aqemmuc ; as tcebbeh s lêhrir yettemserghan ; as teqqen tafzimt amm akken ttaqcict nni n zik. Mi s tcebbeh i wghenja, ur s qqarn ara aghenja meàna Tislit n wenzâr. D lqibla ara tt yawin g tebburt ar tayêd alamma d ljameà negh d lemqam. A tteddu yids tecdîbt tlawin igerdan, tiqcicin. Mi bbdênt ar dinna ad sebbwent ayn akw i d jemcent f tebbura, ad tten ak wid nni yeddan ar dinna. Imir ad urarent teqcicin tilemzîyin Zerzari i d nebder ya kan. Weqbel ad yeghli itîj ad ughalen akw lghaci ar taddart.
La célébration terminée, la louche sera reprise par son propriétaire qui la mettra de côté pour une prochaine célébration ».
Mi g-fukk ufettên n wenzâr, aghenja at yeddem bab is, a t yejmeà i wfettên n wenzâr kan. Ma d taxennact iferki nêttlent daxl uhemmuj i s ghzan ya kan weqbel urar.
Hors ligne