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Couscous : sur l’étymologie du mot.
L’origine berbère du mot couscous ne fait pratiquement pas de doute, même si sa formation exacte présente quelques obscurités. En effet, le terme, sous la forme de base seksu (et diverses variantes phonétiques locales) est attesté dans quasiment tous les parlers berbères algéro-marocains : kabyle, chleuh, rifain… (Cf. Dallet 1982, p. 709, Destaing 1938, ou Laoust 1920, p. 78, qui donne un relevé de formes attestées). Les parlers berbères sahariens (touareg, Ghadames) présentent une forme légèrement différente : keskesu (touareg : Foucauld II, p. 919 ; Ghadames : Lanfry 1973, n° 821, p. 167…). La dispersion géographique du mot est en elle-même un indice extrêmement fort en faveur d’une origine locale.
On soulignera aussi que le terme présente, de manière généralisée, un trait morphologique tout à fait remarquable pour un nominal berbère : l’absence de la voyelle initiale (a-). Or, cette caractéristique, sauf dans les cas d’emprunts non intégrés, est un indice net d’archaïsme, propre à quelques nominaux référant à des réalités non-dénombrables, non-segmentables (Chaker 1995).
Un autre indice de l’appartenance du mot au fond lexical berbère réside dans le fait qu’il n’est pas isolé et s’intègre dans un champ lexical bien précis et très stable dans tout le domaine du berbère Nord, où l’on relève partout deux mots apparentés :
* aseksut (a-seksu-t) : "couscoussier" ; au plan de sa morphologie, le nom de cet ustensile culinaire à une forme parfaitement berbère et porte un suffixe –t, indice très net, là aussi, d’une formation ancienne.
* berkukes (nominal) et son féminin, taberkukest : "couscous à gros grains" ; ainsi que le verbe berkukes : "être en gros grains".
La seconde forme est évidemment à analyser comme un composé expressif à préfixe ber-, à valeur augmentative, parfaitement bien établi (Cf. Chaker 1972-73) ; le thème se décompose donc en ber-kukes. Le composant kukes est, sans aucun doute possible, une forme expressive à redoublement de la première radicale (Chaker 1972-73). Ce qui permet de poser une racine *KS qui pourrait être à l’origine de tous ces lexèmes.
Cette racine est d’ailleurs confirmée par les formes sahariennes keskesu qui doivent s’analyser comme des formations expressives à redoublement complet sur une base bilitère *KS, dont la réalité est étayée par l’existence à Ghadames (Lanfry 1973, n° 821, p. 167) d’un verbe dérivé par préfixe, skeskes, "rouler le couscous" (= s-keskes).
Sous réserve d’une vérification lexicographiques plus poussée, la racine *KS ne semble pas avoir, en synchronie, de représentation immédiate. Elle n’apparaît que sous ses formes dérivées expressives, à redoublement partiel ou total (KS > ksks ; *KS > kukes ; *KS > sksu).
La dernière forme, la plus largement attestée à travers le nom même du couscous, pourrait en fait être un dérivé à préfixe (factitif/instrumental) s- sur la base *KS ; seksu, s’analysant alors en s-ksu.
J’ai personnellement relevé en kabyle un adjectif imkeskes, "bien roulé, bien formé" (non attesté dans les dictionnaires existants), qui pourrait permettre d’attribuer à cette racine *KS une signification du type "bien formé", "arrondi"…
Le seul point obscur reste donc la morphologie précise de seksu, mais tout un faisceau d’indices et de données confirment la thèse de l’origine locale, ancienne et berbère du mot couscous.
Une hypothèse qui semble évidente à tout locuteur du parlers Tachelhit est que le mot est composé du verbe "sek" (touiller) et du verbe "su" (boire).
Adapté de l'article de Salem CHAKER
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