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#1 25-07-2009 12:22:32

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Akufi

Les ikufan (sing. akufi) sont de vastes récipients de terre crue qui, dans les maisons de Grande Kabylie servent à entreposer les réserves alimentaires d’origine végétale grain, fèves, figues sèches, caroubes, glands. L’akufi est disposé sur une banquette bâtie en terre et pierres, le tadekwant qui sert en même temps de séparation entre l’addaynin, partie basse de la maison qui sert d’étable et le taqaat' (ou agum) réservé à la famille. Sous les ikufan, le tadekwant est percé de plusieurs ouvertures qui, dans certaines tribus (Ouadhias, Ait Yenni...), sont encadrées de peintures murales de style géométrique. Ces ouvertures permettent de distribuer le fourrage aux chèvres, brebis et vaches qui stabulent dans l’addaynin. Les ikufan peuvent être aussi placés sur la soupente (tadrcit) qui surmonte l’addaynin.

http://www.wikimazigh.com/wiki/upload/Encyclo/ikufan.jpg

Les ikufan se présentent comme d’immenses jarres de formes variées, la plus commune est celle d’un cylindre brusquement rétréci au sommet, mais il n’est pas rare qu’ils soient de section carrée ou rectangulaire, voire oblongue. Une plaque d’argile peut servir de couvercle. Le seul caractère commun des ikufan est leur grande dimension et le fait de n’être jamais cuits. Certains dépassent en effet deux mètres et leurs dimensions ne permettent pas, généralement, de les faire passer par la porte, aussi sont-ils montés sur place, à l’intérieur de la maison, à leur emplacement définitif; ce qui explique l’absence de cuisson, celle-ci étant impossible et de surcroît inutile. La technique de montage est cependant la même que celle des autres récipients de terre, la potière superpose de gros colombins qui sont écrasés et régularisés avec une planchette, mais la pâte comprend en plus de l’argile, de la paille hachée, du son, de la bouse de vache et parfois de la terre pilée d’anciens ikufan.

Par ses différents caractères l’akufi apparaît comme un intermédiaire entre la poterie et la construction. Sa situation dans la maison lui fait jouer le rôle de cloison entre l’étable et la demeure proprement dite; rôle accentué lorsque des ikufan de section rectangulaire sont mitoyens et présentent une façade continue.

A la différence des poteries, les ikufan ne sont pas décorés de peintures. Leur surface reste lisse ou est agrémentée d’un décor en relief. A. Van Gennep avait insisté sur le caractère original et archaïque de ce décor en relief qu’il estimait ne rappeler ni le décor des poteries peintes, ni celui des sculptures sur bois, ni celui des bijoux, ni celui des tissages, il reconnaissait toutefois la présence simultanée de motifs simples de forme géométrique. Nous ne pouvons souscrire entièrement à ce jugement, on retrouve sur les ikufan des motifs transposés en relief qui figurent sur les céramiques peintes et dans les tattouages, on songe en particulier au triangle sommé d’appendices que Van Gennep figure lui-même en reprenant une illustration de Wilkin et Maciver. Les motifs les plus fréquents sont, comme on peut l’attendre, ceux qui sont les plus faciles à réaliser : ce sont des cordons disposés en zigzags, soit horizontalement, soit verticalement, des mamelons placés à la suite et de courts cordons crantés.

Comme les murs intérieurs de certaines maisons, les ikufan sont blanchis à la chaux chaque année, au point que le relief du décor s’atténue au fil des ans et qu’il est ainsi possible d’estimer l’ancienneté de ces réserves. Exceptionnellement sur la surface blanchie peut apparaître un discret décor peint. Il est limité à la base de l’akufi (filets de couleur brune ou frise de petits triangles) et autour de l’ouverture aménagée dans la panse (thimit). Cette ouverture, parfois doublée d’une autre à un niveau inférieur, permet de prélever directement les provisions. Cette ouverture est bouchée à l’aide d’une poignée de paille ou de feuilles sèches ou d’une boule de chiffons.

Le caractère anthropomorphe, qui est généralement reconnu aux poteries, dont les différents éléments, aussi bien en français qu’en berbère et dans bien d’autres langues, reçoivent des noms empruntés aux diverses parties du corps, se retrouve dans la dénomination des éléments constitutifs de l’akufi. Comme pour les autres récipients on parle donc de panse (ventre : abad), de dos (arayr) de col (cou : amgerd), de bouche (imi), de mains (poignée: afus).

L’akufi proprement dit, c’est-à-dire ce genre de grenier domestique en terre crue que nous venons de décrire, est spécifique de la Grande Kabylie. Cepcndant d’autres régions, d’agriculture traditionnelle et d’économie familiale autarcique, possèdent de grands vases à provisions, de dimensions parfois considérables, mais ces jarres sont des poteries cuites et malgré leur taille elles restent transportables. En Kabylie même, ces grosses jarres, qui remplacent les dolia antiques jouent le même rôle que les ikufan, mais on peut leur confier en outre la conservation de l’huile et de la viande salée ou séchée. Il est remarquable que dans la région de Sidi Aïssa et de Sur el-Ghozlane qui est en zone arabophone, ces jarres sont appelées kufi (pl. kwufa, forme arabisée). La transition entre ces xabiya (jarres) et les ikufan noua semble assurée par certains vases à provisions que nous avons vus dans les maisons du Zaghouan (à Zriba Tunisien) ; tout en étant cuits, ces vases cylindriques à très large ouverture n’en présentent pas moins un décor en relief dont les motifs rayonnant autour de l’ouverture, ce qui est exceptionnel en Afrique du Nord, sont faits de cordons ou de lignes de mamelons, comme sur certains ikufan.

Il existe chez les montagnards sédentaires du Haut-Atlas un récipient qui no s permet de comprendre comment les Kabyles sont arrivés à concevoir l’akufi. Il s’agit de l’axuzam (pl. ixuzem) qui est une haute corbeille en roseau dépourvue de fond et dont l’ouverture supérieure est rétrécie. On la fait tenir debout sur un sol sec et on l’enduit d’un mortier constitué d’argile, de bouse de vache et de paille hachée (E. Laoust, 1920, p. 11).

Il suffit que l’axuzam soit définitivement immobilisé sur une banquette, qui l’isole mieux de l’humidité dans un pays moins sec, pour qu’il se transforme en véritable akufi dont il a déjà la forme et la structure. On comprend que l’immobilisation du récipient construit sur le tadekwant rende inutile l’armature de roseau. Cependant nous retrouvons dans le nom même de l’akufi le souvenir de la corbeille primitive aujourd’hui disparue.

L’étymologie d’akufi est, en effet, très intéressante : il s’agit d’une racine très répandue dans les langues européennes, à partir, peut-être du grec κόφινος (corbeille, panier), qui a donné cophinus en latin, couffe et coufin en français, cofin en espagnol, cofano en italien, coffin (cercueil) en anglais, mais il n’est pas sûr que l’akufi kabyle doive son nom à cette racine indo-européenne car des noms semblables ayant un sens voisin ou identique se retrouvent dans d’autres langues chamito-sémitiques : l’arabe connaît la quffa, embarcation circulaire en vannerie imprégnée de bitume qui navigue sur le Tigre, et le kafas, en Egypte qui est un grand panier fabriqué avec des folioles de palmier. De tels paniers enduits d’argile sont connus dans la vallée du Nu. Citant Blackmann (Les paysans de la Haute Egypte, Paris, Payot, 1948, p. 132-137), F.-E. Roubet signale des greniers fabriqués de cette manière et présentant, comme les ikufan kabyles, de petites ouvertures sur la panse. S’agit-il d’un emprunt relativement ancien des langues chamito-sémitiques à l’indo-européen ou d’une très vieille racine, antérieure à ces deux familles de langues? Ajoutons qu’une tribu de Grande Kabylie, située entre les Aït Smaïl et les Aït Mendes porte le nom surprenant d’Aït Kufi, mais il doit s’agir d’une appellation peu ancienne.

BIBLIOGRAPHIE

    * BASAGNA R. et SAYAD A. Habitat traditionnel et structures familiales en Kabylie. Mém.du C.R.A.P.E., XXIII, Alger, 1974, P. 36.
    * DEVULDER M. Peintures murales et pratiques magiques dans la tribu des Ouadhias.Rev. afric., T. XCV, 1951, p. 63-102.
    * LAOUST E. Mots et choses berbères, Paris, Challamel, 1920, p.11.
    * HANOTEAU A. et LETOURNEUX A. La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris, Challamel,1897, t. I, p. 539.
    * M’HAMSADJI N. Le matériel de cuisine dans les régions d’Aumale et de Sidi Aïsa. Annales de l’Instit. d’Etud. orient, d’Alger, t. XIII, 1955, p. 5-29.
    * RANDALL MACIVER D. et WILKIN A. Libyan notes, Londres, 1901, p1. VI, fig. 3.
    * ROUBET F.-E. A propos du décor chiromorphe d’une poterie kabyle. Libyca, t. XIII,1965, p. 287-309.
    * VAN GENNEP A. Etudes d’Ethnographie algérienne, Paris, Leroux, 1911, P. 37-38.
    * VERDALLE A. Poterie kabyle trouvée dans la tribu des Mechtras (Kabylie indépendante).L’Illustration, Journal universel, janvier 1852, p.30-36.

H. CAMPS-FABRER

Source initiale: Encyclopédie Berbère, Livre III

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