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Un chercheur pluridisciplinaire
Savoir autochtones et anthropologie : le cas de Boulifa, un précurseur », tel est le titre de la conférence animée samedi dernier au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) à Alger par Mme Michèle Sellès Le Franc, chercheuse à l’EHSS (Paris).
Dans son intervention, la conférencière relève que Si Amar Bensaïd Boulifa « garde une place essentielle de précurseur dans cette histoire de l’anthropologie berbère et peut nous faire mieux comprendre son enjeu actuel ». Sachant qu’il a travaillé dans un contexte colonial « oppressant ». L’intelligence de sa « stratégie » consiste à développer les études berbères de « façon interdisciplinaire à l’intérieur de l’étroit créneau qui lui était laissé à l’université d’Alger ». Outre son intérêt pour la langue kabyle, il élargit ses connaissances vers d’autres disciplines appliquées à la langue et à la culture kabyle, à l’exemple de la littérature, l’ethnographie, la linguistique comparée, l’histoire et la sociologie. Car, pour Boulifa étudier une langue, c’est connaître la mentalité, l’esprit et le génie de ceux qui la parlent. Autre domaine où « il affirme son indépendance d’esprit, la poésie kabyle ». En 1904, rappelle la même voix, il « va jusqu’à contester dans le chant universitaire l’autorité savante d’Hanoteau, considéré pourtant pour René Basset comme le fondateur des études kabyles en France ». Comme il n’hésite pas à « critiquer dans sa préface l’image de la femme kabyle transmise par Hanoteau qui se traduit dans le caractère trivial des poésies choisies, réalisées par des poètes d’une qualité inférieure, reflet d’une connaissance erronée de la place de la femme dans la société kabyle ». Boulifa ne s’est pas contenté de s’intéresser à sa société. En 1908, il est le premier des instituteurs formés à l’Ecole normale de Bouzaréah (Alger) et par René Basset à l’Ecole des lettres d’Alger « à initier par ses recherches sur une région mal connue du Moyen-Atlas marocain (Denmat) une norme de travaux ethnographiques qui fait ensuite figure de référence dans le domaine des études arabes et berbères ». Boulifa, poursuit la même intervenante, part à la recherche de « traces de l’histoire du Maghreb-berbère en mettant au service des sciences dites auxiliaires de l’histoire, l’archéologie, l’épigraphie, l’étymologie, sa connaissance de la langue berbère : il effectue ainsi quatre missions accompagnées d’enquêtes orales auprès des populations dans le Haut-Sebaou, une partie de Kabylie qui, à la différence du Djurdjura, recèle en plus des restes archéologiques romains des inscriptions en écriture libyque ». Avec le Djurdjura à travers l’histoire (1925), il rejette l’ethnographie où il était « cantonné ». Et « démontre la possibilité d’écrire à propos de la Kabylie une histoire qui s’étend en fait à l’ensemble du Maghreb et englobe les différentes périodes de son histoire ». Aussi, il expérimente « une façon originale et inédite de fonder la construction d’une narration et d’une sociologie sur la transmission d’un savoir possédant un ancrage immémorial dans le terrain local même ». Pour Michèle Sellès Le Franc, les travaux de Boulifa montrent que la « transmission » des savoirs « autochtones » et leur « transformation tiennent à l’existence et la permanence d’agents chargés de perpétuer cette fonction et à celles de formes » à l’exemple de la poésie, ainsi que « d’objets transversaux de savoir, anticipant donc la protection du patrimoine immatériel des cultures vivantes mais menacées au programme de l’Unesco ». Notons que Si Amar Bensaïd Boulifa serait né en 1861 à Adeni dans la région de Larbaâ Nath Irathen. Il a fréquenté la première école française ouverte dans cette région en 1875. Il y obtient un certificat d’aptitude aux travaux manuels, un diplôme d’enseignement en langue française qui l’oriente vers une carrière d’instituteur. Il est engagé en tant que moniteur-adjoint à l’école même où il a fait ses études. Ensuite, il est nommé instituteur-adjoint après avoir accompli un stage de formation à l’Ecole normale de Bouzaréah. Il devient répétiteur de berbère dans cette même école, puis à la faculté des lettres d’Alger. Il meurt le 8 juin 1931 à Alger. Boulifa a laissé une œuvre riche touchant plusieurs disciplines entres autres, Une première année de langue kabyle (dialecte des Zouaoua) publié à Alger en 1897, Mémoire sur l’enseignement des indigènes de l’Algérie, dans Bulletin de l’enseignement des indigènes (Alger 1897), Recueil de poésie kabyle (Alger 1904), Textes berbères en dialectes de l’Atlas marocain (Paris 1908), Nouvelle mission archéologique en Kabylie (In Bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris 1912). Et Méthode de langue kabyle, cours de deuxième année (Alger 1913).
Par Amnay Idir
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